Un sentiment de culpabilité
La plupart des gens qui achètent une barquette-repas, la finissent entièrement.
Quel mal y-a-t-il à terminer sa barquette puisque si on l'a achetée c'est bien parce qu'on avait besoin de prendre des forces et que ne pas aller jusqu'au bout de notre acte de consommation serait porter préjudice à l'humanité, manifester une ingratitude envers ceux qui souffrent de malnutrition.
Bref, un tel comportement serait perçu comme un gaspillage volontaire, consciencieusement malhonnête.
Une quantité calculée
Lorsqu on achète cette forme de repas, on paie autant pour le contenu que pour le contenant.
Plusieurs cas de figure se présentent alors à nous:
- la barquette est pesée (ou plutôt son contenu), c'est vous qui choisissez le volume de nourriture, un volume qui détermine le prix final.
- la barquette n'est pas pesée , on vous propose différents formats ( S, M, L, XXL comme dans les fast-food US), censés correspondre à l'envergure de votre appétit du moment.
- un unique modèle donc un seul prix, vous n'avez d'autre choix que celui du A prendre ou à laisser.
La barquette est avant tout un objet de consommation, c'est une portion.
Elle renferme l'idée de quantité, le concept d'uniformisation car il n'existe pas une barquette mais des instances d'un même modèle de barquette.
Elle n'appartient ni au vendeur, ni au client puisque une fois le repas consommé, elle n'a plus aucune utilité, sa mission est accomplie. Elle nous assiste dans ce principe passif, cet instant de consommation pour que tout se passe pour le mieux.
Le choix du vendeur en faveur de la barquette est un choix de rationalisation et non de rationalité. Elle est garnie pour rendre service au vendeur en imposant l'envie au consommateur. Elle ne coûte pas cher au marchand et sait soutirer silencieusement au client toujours plus d'argent qu'il ne souhaite en donner, en obtenant de lui son consentement aveugle.
L'impact psychologique / physiologique
Lorsque les gens paient cher ils souhaitent en avoir pour leur argent et dans leur esprit la quantité importe autant (si ce n'est plus) que la qualité.
Le dilemme pour lequel il faudrait choisir entre manger pour assouvir sa faim (par nécessité) ou manger pour satisfaire sa faim (par plaisir) est résolu par la barquette.
Il arrive parfois que l'on puisse prendre du plaisir en mangeant au-delà du seuil de la nécessité (i-e gourmandise). Cet état de plaisir intense est si agréable que ceux qui vivent cette expérience souhaiteraient qu'elle dure plus longtemps, voir indéfiniment.
Or dés que ce seuil de la nécessité physiologique est dépassé, notre métabolisme est mis en branle, la destruction de notre équilibre sanitaire est entamé.
Le rôle crucial de la barquette réside dans le fait qu'elle est là pour nous aider à transgresser cette limite, en noyant la nécessité d'assouvir sa faim dans le surplus subliminal d'images de nourriture qu'elle propose, alimentant ainsi nos fantasmes sécuritaires d'abondance.
Par sa forme elle modélise l'estomac-type par lequel le vendeur sait identifier le client et vendre à ce dernier une certaine forme du bonheur, l'illustration du vide béant débordant de nourriture.
Aprés tout, Lao Tseu ne disait-il pas que "
Qui prend un bon repas, dîne en compagnie des Dieux"?